Shukaku n’avait jamais su quand elle était née, ni même par qui. Elle avait émis l’hypothèse qu’ils s’agissaient de non-alice, qu’il devait y avoir un monsieur Shukaku quelque part dans ce pays. Qu’il avait du tomber amoureux d’une madame, dont elle ignorait le nom. Ils avaient dû être heureux, ils avaient dû se marier. Et elle, elle avait dû naître quelque part dans leur histoire.
Probablement avait elle été un nourrisson, pas très beau à part aux yeux de ses géniteurs. Et ils s’étaient occupés d’elle pendant les deux premières années de sa vie. Elle ne s’en souvenait plus mais son Alice avait certainement dû se déclencher, un jour. Et puis un autre. Et encore un autre. Et suffisamment d’autres pour que l’Académie la remarque et ne vienne la chercher.
C’était courant à l’époque. C’était avant Mikan. Et ca avait été sa vie.
- Citation :
- « J’ai toujours vécu à l’académie. Mon Alice était si... visible que je suis rentrée ici à l’âge de deux ans. C’était bien avant que la rév...forme n’ait lieu. »
Tout cela, Eiko Shukaku ne l’avait su que par les dires d’autres personnes, les racontars du robot qui gardait les petits ou encore ses anciens professeurs, aujourd’hui ses collègues ou à la retraite.
Elle avait été une petite fille sage, discrète, qui passait son temps dans les livres. Elle ne pleurait pas, ne faisait pas de caprices. Ou du moins pas quand le temps était là.
Elle avait vite oublié ses parents, son ancienne maison. Elle n’en avait même plus un seul souvenir, qu’ils aient étés sous forme d’ombres ou d’odeurs.
- Citation :
- « A l’époque, les élèves avaient bien moins de liberté qu’aujourd’hui. Je n’avais jamais quitté le domaine. Les relations avec la famille était très limitée voir interdite. C’était réservé aux meilleurs élèves. Mais tout cela me paraissait normal. Alors je grandissait dans ce monde et j’en absorbait la logique. Et ensuite... »
Elle avait été une élève moyenne, studieuse mais sans résultats exceptionnels. Le genre de petite fille que les professeurs aiment avoir en cours mais n’y accrochent pas tant d’importance que cela.
On l’avait placé chez les spé. Cela ne lui avait pas déplu, au contraire. De cette époque, c’était là où elle avait eu le plus de souvenir. L’ambiance de la classe y était agréable, plus souple qu’ailleurs. Tout le monde faisait attention les uns aux autres. Tout cela, c’était sa famille, ou du moins ce qu’elle en connaissait de plus proche.
Alors, elle commença à se demander à quoi cela servait de se lier aux autres types d’Alice. De presque solitaire en maternelle, elle devient sectaire en primaire.
Elle était gentille, serviable, répondait quand on lui parlait mais n’allait pas vers les autres qui n’étaient pas en spé.
Les livres étaient ses amis.
La RTA était sa famille.
L’académie était son univers.
Le temps passait.
Et elle, elle se plaisait dans cette bulle.
- Citation :
- Les élèves dangereux sont dirigés par Persona. Ils travaillent beaucoup plus durs que nous, parce qu’ils sont formidablement intelligents. Vraiment, je suis joliment content d’être une spé, parce que je ne travaille pas si dur. Et puis, nous sommes bien supérieurs aux psys et aux techs. Les psys sont bêtes. Ils sont dirigés par Jinno, qui est très sévère avec tout le monde, et les techs obéissent à Misaki. Oh, non, je ne veux pas jouer avec des enfants comme ça. Et les phys sont encore pires. Comme je suis content d’être une spé.
Et puis, il y eut Mikan.
Elle était au collège quand cela se produisit. Et elle ne s’en rendit pas de suite compte, n’étant pas directement concernée.
Mais cette enfant entraîna avec elle une marée de changement.
Et sa bulle dorée se perça, violemment.
- Citation :
- « Ensuite il y a eu Mikan. Et les choses ont changés, les lois se sont adoucies. Mais pour moi... Le personnel ne savait même plus qui étaient mes parents ou où les trouver. Et de toute manière, je n’arrivais pas à voir un quelconque lien entre moi et ces étrangers. De plus, la perspective de sortir.... de partir dans un univers que je ne connaissais pas, où il y avait des gens différents de moi. Cela me terrifiait tellement. »
Le secrétariat la convoqua un jour pour lui annoncer que son dossier d’admission avait été perdu. Une erreur, une petite maladresse qui lui avait fait perdre son seul lien avec son passé.
Les gens avaient de la peine pour elle. Certains lui en inventaient même. Quelle tristesse cela devait être de ne pas connaître ses parents. Oh oui, sûr, elle devait le regretter.
Mais la réalité était tout autre : elle se sentait totalement indifférente à ce fait.
Elle venait à peine de réaliser que des gens existaient en dehors de ce mur.
Oui, à peine, au collège.
C’était bête.
C’était stupide.
Mais c’était comme ca.
Et cela la terrifiait au plus haut point.
- Citation :
- -Je vais partir moi aussi ? Ils vont me jeter dehors dès que je serais totalement adulte ?
-Mais non les professeurs ne feraient jamais une chose pareille.
-Mais ils ont bien mis dehors les Alices de type enfance.
-Et alors ? Tu t’en préoccupais à l’époque ?
-…
-Non.
-Il y a quoi dehors ?
-Je ne sais pas.
-Des yokai ? Des oni ? Des dragons ? Des personnes sans pouvoirs ?
-Non, ca ce n’est que dans les livres de fiction.
-Mais c’est la seule chose que je connais.
-Alors en dehors du monde réel, il y a quoi ?
Pour combler ses angoisses naissantes, Eiko se lança à fond dans les études, devenant brutalement une élève des plus brillantes, apprenant toutes sortes de choses, même hors programme. Tout, avaler tout, apprendre tout, pour ne pas penser au reste.
Maitriser des langues étrangères jusqu’à la perfection car cela n’était jamais totalement possible, l’obligeant sans cesse à progresser.
Mémoriser par cœur des paragraphes entiers de matières qu’elle n’aimait pas, juste pour les recracher, jusqu’à en avoir la nausée.
L’enseignement, de manière compulsive, boulimique, pour que plus rien d’autre ne lui vienne en tête.
Et paradoxalement, la maitrise de son Alice commença à lui échapper. Parfois il se déclenchait sans qu’elle l’ait demandé mais généralement, c’était plutôt qu’il ne voulait pas se lancer. Il y avait comme une sorte de blocage. C’était la trop grande conscience qu’il n’était pas illimité, qu’un jour il allait s’épuiser.
Que le temps allait la rattraper.
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- Citation :
- « Tic tac, tic tac. Le temps que tu arrêtes, un jour il va revenir. Un jour il va te revenir en pleine face. Et c’est toi qu’il arrêtera. »
Elle était entrée au lycée. Elle entra à l’université, fit deux filières de 3 ans avant de se retrouver au pied du mur de nouveau : il fallait trouver une nouvelle échappatoire.
Elle devint professeur d’anglais.
- Citation :
- « Bonjour les enfants. Je suis votre nouvelle professeure d’anglais. Je m’appelle Shukaku. Je vous préviens de suite : dans ma classe, je n’accepterai ni chahut, ni bavardages. Il faudra bien vous tenir et travailler. Je n’hésiterais pas à faire repasser chaque élève qui aura une mauvaise note autant de fois qu’il le faudra. Et punir chaque insolent jusqu’à ce qu’il sache tenir sa langue. Ai-je été bien claire ? »
Stricte, droite mais juste, totalement dévouée à ses classes. Ne pensant à rien d’autre qu’à son travail.
Et avec ses petits chouchous également. Généralement, ceux dans lesquels elle se reconnaissait. Et particulièrement les types enfance pour lesquels elle avait la plus grande des pitiés.
Mais ce n’était pas assez… Deux ans plus tard, elle ouvrit un club de théâtre.
- Citation :
- Le club de théâtre n’a pas pour objectif d’enseigner aux enfants le métier de comédien, ni de leur mettre en tête de vivre de cet art plus tard. Il n’enseigne que les bases de cette branche. Son véritable but est de sensibiliser les enfants et les adolescents aux textes, qu’ils soient de théâtre ou de littérature, par le biais du jeu. Il forme également ses membres à devenir de bons spectateurs, capable d’apprécier et reconnaître une pièce. Et n’oublions pas également, le plaisir de jouer, ce qui est le plus important aux yeux des enfants.
En parallèle, elle se porta volontaire comme cobaye pour un possible remède à son type d’Alice… Un mécanisme qui permettrait de « recharger » ce dernier une fois arrivé à terme. Elle ingurgita donc toutes sortes de produit et eut de nombreux test… qui semblèrent arriver à quelque chose, une dizaine d’année plus tard. Ce fut un soulagement sur le moment.
Entre deux, la vie continua au sein de l’académie. Mais son ressenti pour l’extérieur ne passa pas si inaperçue que cela car, un jour, il y a environ 5 ans de cela, elle fut contactée.
- Citation :
- « Shukaku Eiko ? Je travaille pour l’organisation alpha, du côté de l’ordre. Je pense que ce que j’ai à vous dire peut vous intéresser. »
A ce stade là, elle n’avait que vaguement entendu parler de cette organisation, juste des bruits de couloirs. Elle n’aurait jamais imaginé qu’ils aient pu exister en vrai.
- Citation :
- « Votre Alice est... puissant. Arrêter le temps, le contrôler à votre guise. C’est presque les pleins pouvoirs que vous avez là. Et pourtant, vous vivez dans la crainte qu’on vous envoie à l’extérieur ? Dans la crainte de ces animaux, sans pouvoirs, bien plus faible que vous ? N’est ce pas paradoxal ?
Nous pouvons vous aider à avoir la vie que vous méritez, libérer de la peur de perdre votre Alice ou d’être expulsé. Mais notre reine a aussi besoin de vous, à ses côtés. »
Elle avait hésité. Non pas que la proposition ne lui plaisait pas, au contraire. Mais plutôt qu’elle ne parvenait pas à percevoir en quoi une femme comme elle pouvait leur être d’une quelconque utilité. Allait elle devoir faire des missions à l’extérieur ? Se mettre en danger ?
Non, l’avait on aussitôt rassurée. Elle n’avait qu’à être leur yeux et leurs oreilles à l’intérieur. Faire de l’espionnage en somme.
Elle avait dit oui.
Parfois, elle se met à douter de son choix. Particulièrement sur leur vision des Alices forts et ceux faibles. Ne sont ils pas tous plus puissants que ces animaux par nature ? Faire la distinction n’a aucun sens à ses yeux et elle ne voudrait pas la faire entre ses élèves.
Mais à chaque fois qu’elle rencontre la reine, ses doutes s’envolent. Cette personne sait surement ce qu’il y a de mieux à faire.
Alors, en attendant ses instructions, elle se concentre corps et âme dans son métier.
Et c’est ainsi qu’elle demeure à ce jour la collègue de bureau discrète, stricte mais appliquée dans son travail.