« Ce monde n'est qu'un tissu de mensonges. Tout n'est qu'un vulgaire théâtre ou les masques s'échangent sans cesse, où tout n'est que non-dits et intérêts dissimulés. Mais personne n'avait jamais pensé que quelqu'un pourrait voir à travers ces factices personnalités, faisant tomber tous les artifices de notre existence. Les yeux d'or sont plus clairvoyants que l'on ne croit très cher... »Ils étaient jeunes, ils appartenaient aux mêmes milieux, pourtant tous les séparaient. Il était un homme qui rêvait de partir loin, au delà des océans, elle ne désirait que continuer sa vie comme elle l'avait toujours fait, dans la médiocrité des HLM d'Arigente. Il venait lui d'un quartier aisé de cette même ville, comme quoi quelques kilomètres pouvaient changer le destin des misérables humains. Ils ne devaient pas se rencontrer, après tout qu'est-ce que pouvait un bourgeois avec une fille du peuple ? Leur éducation, leurs goûts, même leur humour étaient différents. Au mieux, leur passion pour la mer qui les isolait du continent et qui les rendait si fière. Mais cela restait bien maigre pour construire une bonne entente, même une amitié semblait amener à un échec inévitable. Et pourtant, dans le berceau de la Renaissance, la logique ne semblait pas vouloir s'appliquer...
Natale avait quatorze ans le jour de la rencontre qui allait transformer son existence. A cet âge, on se lançait souvent des défis débiles pour montrer que l'on était un homme, un vrai. C'était d'ailleurs pour cette raison là qu'il était dans ce quartier sombre, à peine une quinzaine de minutes après six heures du soir, là où le ciel s'incendiait avec l'arrivée de la nuit. Avec ses amis, il s'était dit qu'il pourrait rentrer chez lui par le quartier de la populace, mais plus il avançait, plus il se demandait si ce n'était pas la pire idée qu'il avait fait jusque là. S'il se faisait enlever, ses parents allaient lui passer un savon en rentrant, comme quoi être de bonne famille ne signifiait pas qu'on était raisonné voire même réaliste. Les pas du garçon aux yeux d'or et à la chevelure brune choquèrent le bitume, le rassurant un peu. Il fixait ses chaussures depuis qu'il avait pris le détour, de peur de tomber nez à nez avec les voyous sans cœur que l'on voyait à la télé, mais soudain une voix cristalline l'interpella et il redressa la tête, ne sachant pas que dans les secondes qui allait précéder, son monde serait changé définitivement.
Elle était là, chantant ce doux air de printemps. Ses cheveux blonds descendaient en cascade sur ses frêles épaules d'enfant, pourtant ses pupilles d'azurs scintillaient de cette sagesse d'adulte. A en juger sa physionomie aérienne, l'ange devait avoir son âge, mais il était tétanisé, comme s'il ne bougeait que de quelques millimètres, la douce créature allait s'évanouir en éclat de lumière. Elle s'avança vers lui et son cœur palpita frénétiquement, comme s'il venait de faire un cent mètres sprint. Quel était ce sentiment si brusque et chaleureux ? Mais avant qu'il ne put remettre ses pensées, la jeune adolescente avait presque traversé toute la rue. Sans comprendre exactement ce qui se produisait Natale couru à sa poursuite, comme essayant de rattraper ce moment magique qu'il venait de vivre. Cela ne représentait presque rien pour les autres, mais il savait qu'une occasion pareille ne se reproduirait pas, frôler l'Eden était une expérience que l'on ne pouvait pas oublier et encore moins laisser filer. Se saisissant de sa manche et reprenant son souffle, l'italien tenta de retranscrire ses sentiments le plus fidèlement possible, mais rien de productif fut créé, juste quelques syllabes prononcés anarchiquement sous l’œil perplexe de la demoiselle. Toutefois il parvint à articuler, ses jambes se faisant tremblotantes à la vue d'un visage aussi angélique :
« Ton prénom... Je veux connaître ton prénom... »Soudain, la jeune dame qui allait être sa femme d'ici quelques années dessina un sourire malicieux, avant d'attraper la main du jeune homme et d'entrelacer ses doigts avec les siens. Sa voix perfora le silence de la citée sicilienne , accordant son très léger rougissement avec celui de l'adolescent.
« J'espérais que tu allais me demander cela . Je me nomme Lucrecia Silvola, enchantée... »Alors que les oiseaux chantaient cette rencontre, le soleil avait totalement disparu, comme le début d'une nouvelle histoire...
Il ne fallut pas beaucoup de temps pour qu'ils confessent leur amour respectif et rapidement ils logèrent ensemble dans un petit appartement quand il eut dix-sept ans et elle dix-huit ans . Toutefois les familles n'approuvaient pas leur union, surtout du côté de notre jeune garçon. Leur fils n'avait pas à vivre avec une femme issue d'un milieu si modeste ! Mais cela n'était pas important, ils s'aimaient assez pour sacrifier une partie de leurs études pour payer eux-même les charges de leur domicile. Ce fut cette manière qu'ils trouvèrent un pêcheur qui voulait bien les former pour reprendre son entreprise. Ils étaient tous deux enchantées, assez pour abandonner l'école. Mais ils avaient aussi un autre projet en tête.
Un enfant, le produit ultime d'un amour partagé. Ils savaient que cela ne serait pas facile, qu'ils allaient devoir faire face à des responsabilités qu'ils n'avaient jamais expérimentés, pourtant ils avaient fait leur choix. Peut-être pour graver leurs sentiments sur cette terre, à moins que ce soit simplement pour l'excitation que procurait cette nouvelle aventure. En tout cas ils n'avaient pas forcément tort, cette vie qui grandissaient dans le ventre de Lucrecia allait les rapprocher plus que n'importe quel autre événement. Mais ils ignoraient que ce serait par la haine de ce petit être...
C'était un jour d'été, Natale était majeur depuis trois jours quand l'accouchement eut lieu... Un mois en avance. Cette matinée là Lucrecia aurait dû faire attention à ces contractions de plus en plus rapprochées. A peine une heure après le départ de son amant, elle comprit bien trop tard que le travail avait commencé, s'écroulant dans la salle de bain. Le téléphone était hors de sa portée et même si elle criait, les voisins limitrophes étaient tous partis par un hasard bien joueur. Alors elle allait devoir mettre au monde sans l'aide médicale ?
Quand le jeune revint tard dans la soirée, sa panique fut bien présente à cause de la femme qu'il aimait en train de crier à l'agonie. Il ne lui fallut pas plus de temps pour appeler le SAMU, mais à peine l'équipe fut partie de l'hôpital, des pleurs qu'il ne connaissait pas retentirent dans l'appartement, le prélude d'un concerto. Tout en restant en contact avec le service d'urgence, Natale se retourna brusquement et se dirigea vers la salle de bain, essayant de comprendre ce qui se passait. Le demoiselle tenait entre ses bras ensanglantées un petit enfant brailleur. Elle était exténuée pourtant un sourire radieux illuminait son visage comme devant le plus beau trésor du monde.
« Il est né Natale... Elvio est né... »Bien sûr elle fut transférée à l'hôpital et elle resta à peu près cinq jours avant de rentrer chez elle, bref comme lors d'un accouchement normal. Au début, le couple fraîchement marié ( il avait prévu leur cérémonie trois mois après la naissance, dans une petit église) s'occupait sans cesse de l'enfant. Elvio s'avéra être très rapidement une boule d'énergie dés qu'il fut en âge de marcher. Il voguait de pièce en pièce, s'intéressant à tout ce qu'il trouvait. Toutefois, il ne semblait pas entendre quand ses géniteurs l'appelaient, d'ailleurs il ne semblait pas vouloir parler, mise à part quelque fois quelques mots murmurés. Sa naissance avait rapproché les parents maternels, heureux d'avoir leur premier petit-fils et ils venaient de temps à autre à la demeure des pêcheur. Hélas le jeune couple dut retourner travailler avec ces horaires infernaux, laissant cet enfant sous la responsabilité des voisins. Peut-être est-ce de là que naquit ce malaise qui allait changer drastiquement son existence...
“I beg of you. Please, love only me
Shred it quickly all apart, all these feelings in my heart”« Aussi loin que je m'en souvienne, le silence n'avait jamais existé dans mon univers naturellement. J'avais bien une idée du concept, après tout à la maternelle les maîtres cherchaient en vain cette utopie, mais je n'y ai jamais cru. Un monde sans son me paraissait inconcevable, autant que des parents présents à mon retour de l'école. Ces murmures m'accompagnaient où que j'aille, mais cela n'avait rien d'extraordinaire, puisque cela a toujours été ainsi. Alors on se demandait pourquoi je ne répondais pas quand on me parlait, mais personne n'aurait jamais songé que je n'entendais pas leur complainte. A l'époque, je ne comprenais pas beaucoup de choses et je croyais naïvement que tout le monde percevait le monde comme moi, alors je ne cherchais pas à comprendre d'avantage l'origine de ces sons, tout ce qui importait c'était que l'on me voit, que mes parents s'arrêtent un instant pour voir à quel point je faisais tout ce que devait faire un enfant de mon âge, même si je détestais cela. Etre entravé dans mes mouvements, écouter ces voix effacées et les obéir sans question, tant de choses que je n'aurais plus jamais à faire ! Comme quoi j'étais bien idiot et naïf avant d'être cette personne fabuleuse que je suis actuellement ! »Pourtant ce fut quand il apprit à lire qu'il comprendra que ces sons étaient les pensées de tout ce qui vivait sur cette planète. Car à force de vouloir comprendre pourquoi ses efforts n'étaient jamais récompensés, ce terrain favorable laissa germer ce don que qu'il nommerait bien plus tard son Alice.
Il avait six ans, c'était une interrogation, il ne savait pas la réponse. L'enfant avait cherché dans les yeux de ses camarades, espérant peut-être trouver de l'aide dans leurs pupilles lumineuses. Il crut entendre un craquement ce jour là et ces sons confus avaient pris forme, celle d'une voix neutre qui énonçait la réponse. Il ne lui avait pas fallu pas plus de temps pour qu'il comprenne que cela vienne de son voisin et il récita la phrase qu'il venait d'entendre, encore bouleversé par ce qu'il venait de vivre. Il avait eu bon et le maître le félicita, mais ce n'était pas ce qui occupait vraiment ses pensées à cet instant précis.
Que venait-il de se passer ?
Alors les expériences commencèrent et Elvio devint un scientifique en herbe. Déjà il devait s'assurer qu'il ne s'agissait pas d'un hasard. Alors il retenta l'expérience, prenant à part un de ses petits camarades et il le fixa droit dans ses iris. Alors, le miracle se reproduisit. La cacophonie ambiante devint la mélodie des âmes. Étrangement, il entendait la peur de l'enfant qu'il tenait par les épaule et qui lui-même pouvait percevoir ses questions mentales. Lâchant son misérable cobaye traumatisé, le jeune italien lui souriait à pleines dents. Il était devenu une sorte de Dieu. Il pouvait avoir accès à n'importe quel songe avec un peu de volonté. Un simple regard lui permettait de connaître les plus grandes peurs de humains, alors il commença à jouer de cette faculté.
Il s'ennuyait et il se disait que peut-être ses parents réagiraient, vu que son travail ne payait pas. Alors avec ce don extraordinaire, il commença à remettre les hommes à leur place, révélant leurs secrets au moment où ils feraient le plus de dégâts. Confesser l'amour d'un autre avant lui , juste assez tôt pour qu'il le nie par gêne, divulguer les détournements de fonds de la dame qui leur faisait les cours d'art et la directrice, sans oublier de dévoiler le lieux où les dames de cantine entreposaient les desserts en échange d'un peu tout et n'importe quoi ( en gros tout ce qui semblait faire réagir la pauvre victime). Il n'avait pas peur des plus grands, car s'il y avait bien une chose qu'il avait appris à vouloir être un enfant parfait, c'était mentir. Le tout était de faire comme les chiens errants qui évoluaient dans les rues, montrer les crocs. Quand on le menaçait, il énonçait simplement les pensées de ses agresseurs et dans 70% des cas, on le lâchait avec cette expression de terreur que pourrait avoir un homme devant une sorcière. Dans l'autre cas, cela finissait en baston, souvent arrêtée bien trop tard par les enseignants bien rancuniers. Mais au moins il se sentait vu, on le haïssait , on le méprisait, parfois même on le craignait. Même si c'était par de mauvais sentiments, il existait d'avantage qu'en étant sage. Alors vous imaginez bien qu'un enfant de six ans ne se sentirait pas vraiment coupable de tourmenter ces fourmis comme il commençait à les nommer. Peut-être que si ses parents l'avaient recadré quand ses larcins commencèrent, il aurait pu être une bonne personne. Mais au lieu de ça ils feignirent l'indifférence, peut-être trop orgueilleux pour avouer que leur fils leur échappait peu à peu. Lui, n'ayant pas de réaction de leur part, il continua à jouer des pensées des autres, espérant peut-être qu'il finirait par s'apercevoir que leur enfant voulait leur attention. Mais aucun des deux camps n'avaient pu prévoir cette triste conclusion.
« Ce jour est encore très présent dans ma mémoire, comme l'un des seuls qui hanterait encore mes songes aujourd'hui. Nous étions au parc mes parents et moi. Le dimanche était l'une des rares occasions où nous étions tous les trois réunis, juste après la messe. Je n'ai jamais aimé les églises, les sons s'y faisaient toujours plus forts, probablement à cause de la fabuleuse acoustique de ces lieux de rites. Il n'y avait que lors des chorales où je pouvais considérer ce bâtiment comme ayant un certain intérêt, après tout j'ai toujours aimé les chansons mélodieuses qui permettaient d'oublier ce bruit de fond quelques fois fatiguant. En tout cas ce jour là, j'oubliais presque l'amertume qui m'habitait depuis longtemps, sachant que j'allais pouvoir jouer avec mes géniteurs. Depuis que j'avais découvert mon don, j'avais remarqué que de temps à autres les pensées venaient d'elle-même, sans requête. Je ne pensais pas que ce léger défaut des premières années allaient faire de moi l'homme que je suis aujourd’hui. Un simple regard , un simple moment de relâchement de leur part. Une simple pensée dévastatrice.
*Peut-être aurions-nous attendre, on aurait plus profité de notre romance...*
Comment un enfant pouvait réagir devant une telle annonce ? Penser que tout ce qui a été fait pour qu'on nous remarque n'avait servi rien, un souhait d’absence qui prouvait que je passais après leur amour. Je me sentais piétiné, trahi par ceux qui étaient censés m'aimer plus que n'importe quoi au monde. Je serrai mes poings, avant de simplement exploser pour la première fois. Des mots perfides sortirent de mes entrailles, ces insultes que prononçaient les grands, mais surtout la phrase qui marquerait tout mon enfance, avant de partir le plus loin possible de ces êtres immondes. Je décidai qu'ils n'étaient aussi que des insectes, que j'étais le seul être supérieur sur Terre. Malgré les larmes qu'inondaient mes yeux, je savais maintenant que j'étais seul, et qu'il fallait bien que je m'en sorte avec mes propres moyens. C'était cela d'être celui à qui on ne pouvait mentir.
« Vous verrez, je peux me débrouiller seul, quand vous verrez ce que je suis devenu, vous vous en voudrez de ne pas avoir été fier de moi! » »
“Deep down in my ferocious, wild shadows
It's starting to spill”Sept ans déjà qu'il vivait sur Terre et pourtant le voilà dans une des plus sombres chemins qu'un enfant aurait pu emprunter. Au lieu de rester sagement chez lui, il préférait vagabonder dans les rues, là où le blondinet n'aurait pas à voir ceux qui l'avaient déçu. Il était déjà trop fier pour faire marche arrière et il fut rapidement entouré d'une bande de petits vauriens plus vieux que lui. Elvio ne cachait pas son pouvoir, d'ailleurs il ne ratait jamais une occasion pour s'en servir et ainsi impressionner ceux qui le contemplaient. Alors on voyait en lui une poule aux œufs d'or que l'on pouvait exploiter, alors que l'étrange garçon vous considérait comme des jouets. Ainsi un certain équilibre s'installait avec ces enfants et adolescents perdus, à la recherche du grand frisson. Du vol au baston entre camarades, Elvio était favorisé par cette Alice. Il excellait surtout à la substitution de carte bleu où il pouvait user de sa jeunesse pour apitoyer les passants et de son don pour connaître le code. Ainsi la bande pouvait retirer le maximum d'argent avant de jeter l'objet dans les poubelles de la belle ville d'Arigente. De plus notre jeune homme ne voulait jamais de l'argent des prises, tout ce qu'il l'intéressait, c'était ces yeux pétillants d'admiration et de jalousie devant cette capacité que personne n'avait. Bien sûr sa nonchalance amenait souvent des coups contre sa personne et il finissait assez souvent en mauvais état, toutefois la victoire n'était jamais totale pour ses agresseurs. Il esquissait déjà ce sourire provocateur, celui qui vous rappelait que si vous ne l'amusiez plus, il pourrait faire de votre vie un enfer avec tout ce qu'il savait. Bien ou mal, Elvio ne se posait plus la question, tout ce qui comptait c'était qu'il puisse s'amuser, ressentir ses pulsions d'adrénaline qui l'emmenaient toujours plus loin dans ses crimes...
Mais il y avait toujours un moment où il finissait par se retrouver seul, traînant les pieds sur le bitume glacial. Il avait beau se frotter les mains, toussoter, personne ne l'entendait dans cette ville sans âme. Tout ce qui pouvait l'accompagner, c'était ses chansons qu'il chantait, celle du grand-père Yevheniy. D'ailleurs il tentait de rentrer chez lui les rares jour où le père de sa mère venait dans leur appartement pour donner un coup de main à sa fille, il était aussi celui qui ne lui avait jamais menti jusqu'à présent. Il était beaucoup plus difficile de lire dans celui qui questionnait les ennemis du régime communiste jadis. Ce fut cet homme qui inculqua le concept d'honneur et cette passion du chant au garçon. D'un côté ils se ressemblaient, car lui aussi avait une capacité que les autres n'avaient pas, il pouvait faire dire ce qu'il voulait à n'importe qui, suggérer n'importe quoi suffisamment fort pour que la cible soit convaincue de sa validité. Du moins c'était que racontait ce vieillard imposant, mais Elvio n'en doutait pas un seul instant de ses mots. Il y avait cette connexion silencieuse entre eux, ces pensées échangées dans un regard, une petite complicité entre ceux qui étaient uniques. Ils étaient deux OVNI, deux demi-dieux échoués dans le monde des humains. Cependant leur rencontre était rare, ce qui laissa le temps à Elvio de vivre cette solitude. Car toutes ses expériences finissaient par l'ennuyer, ses camarades n'étant plus que des boulets. Il lui fallait encore plus, pour enfin avoir un impact autre sur le monde...
Un homme allait pourtant réaliser son souhait.Ce n'était pas le père Noël ou même un autre individu extraordinairement bon, il était même très loin de ce portrait idyllique. Cet homme était le Parrain de la mafia locale, un requin parmi les requins ? Alors oui, on pouvait se demander comment un homme aussi influent dans les sphères du crime s'intéresserait à un enfant de presque huit ans . Songez-y quelques instants, un pion qui pouvait lire dans les pensées des hommes était un avantage considérable pour la mafia. De plus Elvio était loin d'être un garçon discret, les rumeurs sur le télépathe traînaient dans la ville depuis déjà longtemps. Mais était-ce vraiment la vérité ? Alors, un jour qui devait être comme les autres, un homme en costume vint à la rencontre du garçon, prononçant simplement :
« Petit, ça ne te dirait pas de changer le monde ? Viens avec moi. »Il n'avait fallu qu'un seul regard de l'enfant, pour qu'il comprenne la raison de cette visite. Le blondinet ne comprenait pas exactement ce que la mafia était réellement, juste qu'elle terrifiait les petits malfrats qu'il côtoyait. Cela le rendait suffisamment intéressant pour que le garçon le suive sans aucune question. L'adulte l'emmena dans un appartement richement meublé là où d'autres hommes aussi louches s'étaient réunis autour d'une table. Alors l'interrogation commença sur le jeune italien qui répondait avec une insolence et une franchise presque suicidaire. Les membres de l'organisation n'eurent aucun mal à identifier cet étrange personnage comme un véritable télépathe. Après tout entendre une voix étrangère dans leur tête et énumérer un bon nombre de secrets sur chacun d'entre eux étaient une preuve bien assez solide pour ces êtres de l'ombre. Ainsi se finit la première entrevue avec la mafia sicilienne.
La deuxième se fut dans la demeure du petit garçon, dans ses moments de tensions que pouvaient vivre une famille désunie. Lucrecia ouvrit la porte, et en découvrant l'homme qui attendait au seuil de l'entrée, son visage devint livide. Personne n'ignorait celui qui était le maître du marché de l'ombre dans les HLMs d'Arigente, mais peu avait la chance de voir son visage. Cependant vu les hommes de mains qui l'accompagnaient, son identité devenait limpide. Le Parrain était devant leur appartement. La jeune mère se tourna vers son mari, le questionnant sur cette étrange visite, mais c'est en voyant les pupilles lumineuses de son fils qu'elle comprit ce qui se tramait. Elvio lui se croyait dans les films de gangster .
Il ne fallut pas longtemps pour que l'homme à l'embonpoint annonce la raison de sa visite. Il voulait emporter avec lui l'enfant. Les parents ne comprirent pas, se demandant pourquoi on voulait d'une tout petit garçon dans une organisation criminelle. Mais le blond lui savait parfaitement pourquoi on voulait de lui: son don. Il n'eut donc aucune hésitation à rassembler ses affaires et rejoindre le malfrat. Sa mère fut sous le choc, elle savait que son fils leur en voulait, mais pas au point de suivre un inconnu. Elle aurait voulu l'arrêter, le récupérer et le protéger devant ces voyous qui l'exploiteraient, mais Natale l'en empêcha, sachant très bien que ces hommes n'aimaient pas que l'on leur résiste. Alors que le garçon quitta le complexe pour une tout autre vie, la voix de sa génitrice scélérate vrombissait, comme une dernière plainte pour le stopper.
« Elvio ! Ne pars pas, nous avons besoin de toi tous les trois. Tu es notre fils! »Tous les trois ? Mais il ne voulait pas entendre, un fabuleux destin l'attendait avec ses hommes souillés par le vice. Tant qu'il pouvait oublier ce sentiment d'abandon, cette trahison, il n'avait pas peur de s'enfoncer dans le gouffre...
« Travailler pour la mafia était presque comme aller tous les jours aux parcs d'attraction pour le jeune garçon que j'étais. Je voyageais beaucoup à travers le globe. De Moscou à New York, en passant par Nice, mes services étaient demandés tout autour de la terre. Pour moi qui n'avais jamais pris l'avion, j'étais subjugué par ces paysages miniatures à travers le hublot. Mes ''oncles'' étaient toujours étonnés par cet émerveillement dont je faisais preuve à chaque trajet, peut-être ne s'attendait-il pas cela de quelqu'un qui avait choisi par lui-même de devenir un membre de l'organisation. Je n'étais qu'un enfant, tant que je voyais de nouvelles choses, je me tenais relativement tranquille...
De plus, mes journées étaient relativement peu chargées, alors je me retrouvais souvent à m'occuper avec tout ce qui me passait dans la chambre d'hôtel. Entre mes performances à dérouler le papier toilette et voir à quelle vitesse on pouvait vider les flacons de shampoing gratuit, la télé restait le meilleur moyen de s'occuper. Ce fut d'ailleurs dans cette boite à image que je découvris ma deuxième passion : la danse. C'était une comédie musicale en hongrois si mes souvenirs sont bons. Je ne comprenais pas un mot de ce qu'ils racontaient, mais leurs mouvements me rappelaient cette force qu'animait les chants de mon grand-père. Alors je commença à m'intéresser à cet art à travers des livres et des enregistrements que les hommes de notre belle organisation ramenaient à ma demande.
Sinon mon travail consistait surtout à du recueil d'information et moins fréquemment aux interrogatoires. C'est là où j'appris plus sur mon pouvoir que n'importe qui. Déjà que je pouvais communiquer avec les animaux. Ils me servaient d'informateurs, même si certains préféraient plus me mordre ou penser à leurs besoins vitaux qu'à ma demande. N'ayant pas de phéromones animales, ils ont surtout tendance à me voir comme une menace. Aussi que quelque soit la langue de la cible, je pouvais comprendre ses pensées. Après tout les ondes mentales sont un langage universel, alors il semblait logique que je les comprenne malgré la culture différente. Mais surtout j'appris la limite de mon pouvoir de lecture, mais aussi son pouvoir dévastateur.
J'avais neuf ans, c'était à San Franscisco par une nuit sombre. L'un des nôtre avaient été retrouvé entrain de colporter des informations sur notre trafic, qui avec le recul devait sans doute s'agir de la vente d'armes pour les ghettos. J'avais pour mission de découvrir à quel point il nous avait trahi. Ce jour là je découvris que les hommes avec un fort mental pouvaient cacher des secrets sous forme de verrous psychiques. Toutefois je pus le briser avec une bonne heure de recherche, mais encore plus de secrets apparurent et mon acolyte me dit de continuer à fouiller. Je ne sais pas combien de temps dura l'interrogatoire, ni à combien de boucliers mentaux j'avais brisé. Les informations devenaient de plus en plus superflues, mais les ordres étaient clairs, continuer jusqu'à qu'il n'y ait plus aucune zone d'ombre. L'homme semblait souffrir à force de toutes les cassures que je créais dans son âme, mais la dernière sonna comme si l'on lâchait un verre aux 26ième étages. Il devint fou, et quand il le libéra, il profita de sa liberté pour se jeter du haut de l'hôtel. Une tâche de sang en forme de papillon sur l’asphalte. Tout ce qu'il laissa, c'était son bracelet, celui que je porte encore aujourd'hui ,«sogno illosioro ». Je ne sais pas pourquoi je le voulais, était-ce parce que ses mots resteront à jamais un mystère à mes yeux? A moins que je me rendais compte que c'était ce que voulait le Parrain, l'effacer avec le plus proprement possible, selon cette mine de contentement sur le visage de mon gardien ? Dans tous les cas je ne pourrais jamais oublier ce saut du bas de l'immeuble. J'étais Dieu, celui qui pouvait mener à la mort n'importe qui, tant que j'avais assez de patience et d'énergie pour détruire toute trace de mystère. Une nouvelle preuve de ma supériorité... »Mais tout avait une fin, comme cette époque dorée où il n'allait plus à l'école. Le Parrain avait un plus grand projet pour son chien au collier de diamant : l'Académie Alice. Il avait fait des recherches et il s'était retrouvé en contact avec les Anti-Alices qui lui parlèrent de ce lieu où tous les gens aux capacités extraordinaires étaient parqués. Une alliance se fit entre les deux organisations. En échange de moyens et de leur protégé en tant qu'informateur, les Anti-Alices offrirent leurs propres Alices pour agir dans le monde entier. L'italien ne put refuser l'offre et l’entraînement d'Elvio commença. Il devait apprendre les bases du japonnais que ce soit écrit ou oral pour le bien de la mission, afin de communiquer plus naturellement avec les pensionnaires. Bien entendu, reprendre les études étaient difficiles pour le garçon qui avait maintenant les cheveux verts, mais une promesse le rendit presque attentif. Une école fameuse pour son parcours de chant, voilà ce que le Parrain avait pu lui dégoter. Pour une telle opportunité, il s'obligea à ne parler que cette langue orientale pendant plus d'un an, il suivit des cours d'écriture et il absorbait des centaines d'heures de films et de dessins animées du Soleil Levant. Au bout d'un an et demi, Elvio était plus ou moins capable de communiquer et il pouvait lire les signes les plus simples de cette langue complexe. Il était prêt à partir au Japon. Son alibi était simple, sa ''famille'' avait émigré au Japon à cause de leur travail. En réalité il s'agissait des hommes de mains du Parrain qui le garderait le temps d'être découvert. Il ne fallut pas plus d'une semaine pour que le jeune garçon se fasse enrôler dans l'académie. Après tout il faisait comme quand il était plus jeune, sortir les secrets des passants pour les provoquer, rien de plus.
En passant l'entrée de l'Académie, Elvio se remémora une dernière fois sa mission. Il devait trouver des Alices qui souhaitaient s'en aller et les mettre en contact avec les Anti-alices. Il dirait à certain que ses hommes veulent libérer tous les Alices et à d'autres qu'un homme fabuleux les attendrait sous la tour de Tokyo et qui leur donnera la force de changer le monde. Au fond il s'agissait de trouver de nouveaux pions à son chef, comme ce qu'il avait été. Mais ça il ne s'en rendrait compte que bien plus tard, car à onze ans , il se croyait encore spécial...
“ The raven would speak, the raven would say
"You will never ever be able to go back to those days"
"You need to see, what you can be, TIME TO GROW UP"”Mais finalement se retrouver dans ce nouvel Univers l'obligea à faire face à la réalité. En arrivant dans sa classe, il ne put ignorer cette vérité . Devant ces pupilles d'or, les Alices pullulaient comme une mauvaise peste. Ils étaient si nombreux que cela ? Alors qu'il se présenta à la classe, devant ses paires d'yeux qui dévisageaient ce garçon sous le signe des plantes vertes. Il dut s'installer en fond de salle, près d'une demoiselle qui se cachait sous une cagoule grise, cachant presque tout son visage. Déjà les paroles fusèrent de ce langage qu'il avait du mal à saisir chez les natifs. Il se sentait disparaître, ne plus qu'être une tâche de couleur sur une œuvre impressionniste. Banal à souhait. Mais le pire était sans doute ce qu'il avait appris de la part du professeur qui l'avait emmené dans sa classe. Il n'était pas le seul télépathe, loin de là. Cette faculté était assez commune, presque tout les niveaux en avait un, comme une constance dans un problème de maths. Ce don qui l'avait rendu fier n'avait rien d'unique, d'exceptionnel ? Il brûlait de rage dans ce monde où il n'était qu'un humain comme les autres. Mais sa voisine tira la manche de son uniforme doucement, l'appelant avec autant de timidité :
« Amaro-san c'est ça ? Eumh vous n'avez pas l'air heureux... Cela ne vous plait-il pas de vous retrouver avec des gens comme vous ? »L'italien fronça les sourcils, se demandant si elle ne se moquait pas d'elle. Il pencha sa tête, découvrant enfin les orbes multicolores de la demoiselle. Etrange, mais il ne se posa pas la question plus longtemps. Sa voix sonna sec, teintée d'agacement et dans un japonais encore hésitant :
« Tu t'appelles donc Satoko Daita... Déjà soyons clair, tu ne m'appelles pas par mon nom et encore moins avec un suffixe stupide. De plus pourquoi tu me vouvoies ? J'ai l'air d'être un vieux dinosaure ? Non donc tu me tutoies, si tu ne veux pas que je t'éclate. Je ne te le rappellerai pas une fois de plus l'arc-en-ciel. Maintenant je ne vois pas pourquoi je devrais te répondre, c'est beau de t'inquiéter, mais je suis un dieu. Je prouverai mon rang quoi qu'il en coûte ... »Et on ne le pria pas d'avantage . Lui qui était déjà très susceptible, il devint carrément explosif. Un seul mot de travers et il se jetait sur toi comme un loup enragé. En cours il n'était pas plus attentif et il finissait très souvent par jeter quelque chose sur un camarade qui osait prononcer un commentaire sur sa personne. Au final il était haï de sa classe, mais c'était ce qu'il voulait. La haine était bien la preuve qu'il y avait quelque chose à craindre en lui, une sorte de supériorité. Ce fut ainsi que la légende de Green Wolf naquit, sur des combats qui finissaient souvent avec un homme à terre, se vidant de son sang à force de coups et d'objets coupants. Mais autant il pouvait massacrer ses adversaires, autant il finissait en mauvais état, ne pouvant plus remuer un doigt. Car il y a toujours plus fort que soi, surtout quand on n'avait que douze ans.
Dans sa chambre d'hôpital, Elvio s'ennuyait ferme. Même si les Alices de soin réduisaient son séjour, il arrivait de temps à autres que cela ne soit pas suffisant, ce qui l'obligeait à rester un ou deux jours alité. Alors c'était là qu'il chantait, quand les infirmiers avaient fini de lui faire la morale sur son comportement agressif. Il allait être probablement puni encore une fois, mais cela ne le changerait pas . Il détruirait les autres ou il serait complètement écrasé, il n'y avait pas d'autres solutions. Mais ses chants tourbillonnaient de colère, de rage, mais surtout de désespoir. Il n'était plus rien, une simple fourmi dans cette école qui l'éloignait de ses camarades italiens. Il n'oubliait pas sa mission et la menait comme il pouvait, recrutant quelques personnes qu'il avait écrasées, d'autre qu'il avait vu en souffrance, mais cela ne sauvait pas son égo pour autant.
Mais même s'il n'était rien, il y avait toujours une personne qui venait lui rendre visite dans ce lieu bien trop propre : la demoiselle cagoulée, Satoko. Il savait très bien que ce n'était que parce qu'on l'avait nommée comme sa partenaire, qu'elle ne faisait que son devoir en lui ramenant les cours qu'il n'avait pas pu suivre, pourtant il attendait ses visites avec une certaine impatience. Même si leur conversation n'était que des banalités, il avait commençé à apprendre un peu plus sur cette fille qui se cachait derrière cette capuche sombre. Il savait que ses parents habitaient à l’extrême Sud du Japon dans une île paumée, c'était d'ailleurs pour cela qu'elle ne les voyait jamais, qu'elle avait un petit frère assez faiblard et qu'elle avait pratiqué du karaté pendant de nombreuses années. Mais ça ce n'était que des détails, le plus étrange chez elle était qu'elle n'aimait pas son don, celui de changer les couleurs de son propre corps. Elle ne le maîtrisait pas du tout, c'était pour cela qu'elle se cachait toujours sous tout ce tissu. Il avait beau lui dire que c'était plutôt classe et qu'il aurait aimé voir ce don de plus près, elle ne semblait jamais convaincue de sa bonne parole. Il y avait autre chose en elle qui l'énervait, c 'était ce verrou qui se formait à chaque fois qu'il questionnait son âme pour sa présence. Ca l'irritait et il avait beau lui demander de face, elle ne répondait jamais, comme si elle ne voulait pas montrer cette vérité là contre tout l'or du monde. De plus il n'arrivait jamais à capter assez son regard pour briser les chaînes du secret, se recevant toujours un coup pour son manque de discrétion...
Cependant le secret finit un jour, dans ce même hôpital quand il réédita la question, mais cette fois sans agacement ou même frustration. « Pourquoi viens-tu ici, tu n'as rien de mieux à faire ? » Il avait beau savoir que sa requête ne sera pas suivie, il était presque las qu'on lui résiste autant. Mais cette fois, sa camarade releva les yeux, enlevant ce cache qui la dissimulait aux yeux du monde. Des tâches de couleurs par milliers dans sa tignasse, bien plus variés que ceux dans la palette d'un grand artiste. Le vermeil et l'émeraude dansaient lentement au dessus de son oreille alors que le cyan se diluait dans le jaune canari. Elvio n'avait jamais rien vu de plus impressionnant, à côté les déflagrations de flammes, son Alice favori jusque là, semblaient si pâles et vides d'intérêt. C'était ça l'essence de l'Art, la beauté à l'état pur. Alors Satoko, celle que l'on nommerait Rainbow peu de temps après, défia le jeune homme d'un regard étrangement dur, déclarant avec amertume :
« Tu m'avais dit un jour que tu montrerais au monde ce que c'était d'être spécial, alors j'ai pensé que tu pourrais me montrer ce que c'est d'aimer ce qu'on est. Mais au final de cinq mois d'observation, j'ai juste remarqué que tu souffres bien plus que moi dans ta bataille pour la reconnaissance ! Je suis déçue, j'ai été folle d'espérer quelque chose d'un poireau ! C'est tout ce que peut faire un dieu ? Sérieusement c'est juste misérable... »Contre n'importe qui d'autre, il aurait levé la voix , il l'aurait frappée en plein visage, mais elle n'était pas n'importe qui. Un sourire espiègle était apparu sur les lèvres de italien, amusé. Cette Satoko là avait du cran, c'était une bonne surprise. Alors comme ça elle avait attendu qu'il fasse tout le boulot ? Il fallait pas rêver, dieu ou pas, si on restait sur sa chaise rien ne pouvait changer. En tout cas elle l'avait défié. Elle voulait voir le bon côté d'être spécial ? Il ne la décevrait pas une fois de plus...
Amitié, voici ce qui avait manqué à l’émigré dans cette période critique de sa vie. Après cette querelle, les deux individus changèrent et devinrent plus proches. Elvio fut de moins en moins impulsif, gardant son énergie pour des idées loufoques qui finissaient la plupart du temps en punition, comme envahir la salle de classe de poussin-dino à l'aide de complices sous chantage. Au final son don servait surtout à forcer les autres à faire tout ce qu'il disait en échange de son silence. Cela ne fonctionnait pas toujours selon le don des victimes, mais il parvint tout de même à faire de jolis coups qui l'occupaient dans cette prison lointaine de son pays natal. Quant à Satoko, elle commençait peu à peu à être fière de son don et elle finit par s'affirmer. Elle n'était plus la petit fille cagoulée qui faisait peur à sa voix, mais l'acolyte tout aussi étrange de l'italien. Ils voyaient toujours ensemble les plans et elle était la seule à pouvoir arrêter les délires de l'adolescent, souvent par un bon uppercut dans la mâchoire. Elle était en quelque sorte la plus sage du duo. Un autre membre les rejoignit à leur treizième année. Un métisse venant d'Amérique sous le nom de Mike. Le fait qu'il soit étranger joua sur l'intérêt d'Elvio qu'il lia très rapidement avec lui. Rainbow fut aussi sa tutrice en japonais, déjà habituée avec le boulet hyperactif qui lui servait d'ami et rapidement les trois furent inséparables. L'italien et l'américain communiquaient en anglais et au final on crut qu'ils se connaissaient depuis des lustres. Cependant Mike avec un léger défaut, il mentait constamment sur sa propre histoire, même son ''prénom'' était un artifice. Pour Elvio il s'agissait d'une qualité, car au final cette faculté leur permettrait encore plus d’esbroufes et lui pouvait savoir la vérité alors cela ne le dérangeait pas. Leurs capacités respectifs firent d'eux des amis fidèles et ce malgré les secrets que chacun gardaient en lui. L'un son passé, l'autre son appartenance à la mafia, la dernière qui malgré ses plaintes aimait sa vie où deux idiots refaisaient le monde. Mais aussi que le plus excentrique avait pris une autre place dans son cœur ...
Ce trio infernal passèrent leur adolescence avec amusement et festivité, du moins jusqu'à l'aube de la quinzième année de notre protagoniste. C'était le jour des visites et pour une fois Satoko allait voir ses parents, quant à Mike il était occupé avec sa petite amie du moment. Normalement l'étranger s’éclipsait pour faire son rapport aux anti-Alices et à son chef, mais ils avaient eu un empêchement. Alors il errait dans les couloirs, espérant récupérer sa meilleure amie quand elle sortirait. Mais il fut autrement plus surpris de tomber face aux parents de Rainbow. Comment les reconnaissaient-il ? Sans doute le portrait qu'elle lui avait peint et qui n'avait jamais quitté sa tête. Un homme robuste à la tignasse indisciplinée et une dame aux cheveux lisses corbeau et au teint livide, digne des poupées asiatiques. Mais sans doute fut-il encore plus estomaqué de les voir pleurer. Avait-il su toutes les punitions qu'elle s'était écopées par ses plans géniaux ? Ou même pire, il aurait pu savoir le penchant de leur fille à se moucher en plein repas ( il n'avait jamais rien compris aux bonnes manières japonaises , mais il semblait que ce soit un outrage sur les terres nippones). Il feignit l'indifférence, profitant d'un regard pour lire en la mère. Hélas, il ne savait pas à quel point ce qu'il verrait allait changer ses plans. Le frère de Sakoto était gravement malade, il y avait bien un traitement mais qui se révéla long et avec peu de chance de réussite. Le petit refusait les soins sans sa sœur et d'ici la fin de sa scolarité il serait trop tard. Cette vérité le figea sur place, alors que le couple continua leur route. Il lâcha un juron, s'arrachant à moitié ses mèches émeraudes. Il aurait préféré ignorer ce fait, vivre dans l’insouciance, ne pas savoir la perte qu'aurait à vivre sa meilleure amie à cause de la règle de cette stupide école. Quiconque entrant à l'Académie ne peut ressortir avant la fin de ses études, à moins de perdre cette faculté si particulière. Cette pensée résonna dans la tête et il soupira de désespoir. En fait il pouvait l'aider, un des hommes des Anti-alice avait la faculté de « masquer » les Alices, donc il pourrait la faire sortir légalement en échange de quelques informations précieuses. Mais cela signifiait de ne plus la revoir avant des années. Rien que de se représenter cette possibilité, son cœur se serra. Il ne voulait pas la perdre, même si Mike resterait là, cela ne serait plus pareil. De plus cela signifiait qu'elle sache en partie la raison de sa présence au Japon. Pouvait-il vraiment agir pour le bonheur d'autrui en sachant pertinemment ce qu'il perdrait ?
Cette question le hanta durant le mois qui suivit cette altercation. Il n'en dormait plus, devenant plus irascible qu'à son habitude. Le bal de l'Académie arriva et ce fut lors de la dernière danse que la réponse apparut dans son esprit. A la dernière révérence, un sourire avait fait fondre cette mesquinerie d'enfant. Savoir qu'elle ne pourrait plus être aussi joyeuse à cause d'une foutue restriction, c'était la goutte qui fit déborder le vase. Alors que Satoko s'apprêtait à rejoindre Mike, Elvio la retint par la main. Elle fut surprise, un tantinet rosée par l'action inattendue de son meilleur ami. Mais elle fut encore plus sidérée lorsqu'elle entendit sa voix prononcer avec un sérieux qu'elle ne connaissait pas chez lui :
« Je peux te faire sortir d'ici pour que tu sois au chevet de ton frère. Suis-moi et quoi qu'il arrive, ne demande jamais comment j'ai pu être en contact avec ces personnes s'il te plaît... » Leur périple se fit dans le silence après les explications sommaires du jeune garçon. Comment pouvait-on dissimuler un don ? Lui-même ne connaissait pas les détails de l'opération. Il avait saisi qu'il ne s'agissait pas d'un don d'annulation, mais plus d'un blocage temporaire de l'Alice par le possesseur, comme si le pouvoir n'avait jamais existé. Une faculté détournée d'un Alice d'hypnose en somme. Mais l'Alice revenait toujours et le délai de retour différait selon l'individu et surtout il ne fonctionnait pas pour les Limités à cause de leur puissance. Le tout était d'espérer que cela dure assez de temps pour que l'Académie considère que le retour du pouvoir soit impossible. Ils arrivèrent au passage dans le lac, la fameuse brèche du bouclier de l'Académie. Après la téléportation, ils se retrouvèrent face à l'homme qui s'occupait de l'hypnose. Il ne s'attendait pas à voir son collaborateur mais ce dernier expliqua rapidement sa situation. Il achetait son silence en échange de quelques dossiers et surtout d'un chantage douteux dont on ne saurait jamais les termes. En un rien temps, l'opération fut complète et ils purent retourner dans le pensionnat avant que d'autres anti-Alices ne remarquent leur présence. Aucun mot ne fut échangé entre les deux compagnons, chacun ayant bien trop sur la conscience pour pouvoir briser ce silence. La séparation était proche, et aucun des deux ne voulaient avouer qu'ils se manqueraient mutuellement...
« Si tu ne veux pas qu'elle t'oublie, tu n'as qu'à lui prendre une de ses premières fois, par exemple te confesser à elle, ce serait so romantic ~
-Tu es devenu une fille pendant que je ne regardais pas Mike ? Puis arrête tes c***eries, je t'ai déjà dit des millions de fois que je n'aime pas Rainbow, juste que ça me fait c*ier qu'elle doit partir. Tu n'es pas capable de voir la nuance le bigleux ? Je suis sûr que c'est encore parce que tu te sens seul en couple que tu voudrais nous recoller avec n'importe qui... On est pas aussi désespéré que toi ! »Pourquoi fallait-il qu'il souvienne de cette conversation ? Il but son quatrième verre de Vodka cul sec avant de râler nerveusement. C'était la dernière soirée de Satoko dans l'école, alors la classe avait organisé une sorte de fête illégale en son honneur ( en réalité il en faisait un peu pour tout et n'importe quoi et puisque la consommation d'alcool était prohibée par l'Académie, il trouvait ça ''rebelle'' donc d'enfreindre cette règle). Elvio n'était pourtant pas un grand buveur en temps normal, c'était d'ailleurs toujours lui qui ramenait ses deux compatriotes quand ils ne tenaient plus debout. Sa tête tournait affreusement, mais tant qu'il pouvait freiner cet étrange malaise, alors il pouvait bien supporter un peu plus de ce liquide amer. Finalement il fallut qu'à la fin de la soirée Satoko le ramène, lui riant presque de cette situation. C'était au moins une première fois on pouvait dire...
Arrivés dans sa chambre il s'assit sur le matelas, la tête plus lourde qu'une enclume. Son amie s'était installée à ses côtés, plaisantant probablement de son état, mais tout ce qu'il entendait ressemblait plus à un chant de baleine qu'autre chose. Elle ne se rendait pas compte à quel point savoir que ce serait la fin de leurs aventures et qu'après cette soirée, tout ceci serait terminé et ne serait plus que des souvenirs lointains qui finiraient par s'effacer. Mike avait raison, il ne voulait pas être oublié d'elle, quelque soit le moyen utilisé. Une idée bourgeonna dans son crâne et parasita sa pensée comme une mauvaise herbe. Une première fois... Il ne savait pas si c'était dû aux vapeurs d'alcool, mais sans s'en rendre compte il s'était rapproché d'elle durant son discours sur les divers possibilités de communication. Son visage bien trop à proximité, ses iris d'or ne pouvant se détacher de celle qui allait l'abandonner, il la coupa sec de cette phrase qu'il aurait regretté sobre avant de mettre fin à cette distance insoutenable:
« Tais-toi un peu veux-tu ? Quitte à ce que ce soit la dernière fois...»Elvio avait déjà embrassé des femmes suite à un pari idiot avec son collègue étranger. Il n'avait jamais ressenti grand-chose, à part peut-être une fierté mal placée d'avoir volé ce qu'on prétendat être ''le premier baiser'' si important dans les mangas. Pourtant, celui qu'il partageait avec sa meilleure amie avait une tout autre saveur. Celui des milles couleurs qu'elle offrait autrefois grâce à son Alice, aussi de ses souvenirs que l'on ne voulait pas perdre quelque soit le prix. Un frisson si irréel parcourait son échine, le poussant à rééditer l'expérience. Un autre se suivit, ne laissant pas le temps à la demoiselle de le questionner. Quelque soit ce qu'il perdait après ceci, il aurait la certitude que ce souvenir restera dans sa mémoire. Du moins, ce fut tout ce qui se rappela avant le black-out.
Le réveil fut l'un des plus difficiles de sa vie. Rien que la lueur du matin lui arrachait les rétines, peut-être même plus que la cacophonie des oiseaux qu'il aimait pourtant entendre en se levant normalement. Mais ce qu'il allait sans doute refroidir sa colère contre les éléments était de retrouver sa meilleure amie endormie à côté , recouverte par les draps. Il ne fut pas plus rassuré en réalisant qu'il était complètement nu. Il ne voulait vraiment pas savoir ce qu'il avait fait la nuit dernière, sincèrement. Il se rhabilla en vitesse et s'enfuit par sa propre fenêtre, encore sonné de ce qu'il avait pu boire. Il l'avait vraiment fait ? Avec sa meilleure amie qui plus est ? Il se savait bien capable de beaucoup de choses pour ne pas qu'on l'efface de la vie des autres, comme tondre une autoroute sur le crâne d'un collégien ou même brûler un ours en peluche d'une primaire offert par ses parents. Mais de là à jouer à ce qu'il avait pu faire pour un simple sentiment d'abandon, il devait être vraiment désespéré. A moins que ce n'était pas un jeu. C'était encore pire dans un certain sens...
Il ne revit que Satoko au moment de son départ au portail de l'Académie. Il avait hésité à venir, mais devant cette pensée lâche, il n'avait pu que faire face à cette nouvelle épreuve. Fichue fierté. Mais visiblement elle fut ravie de le voir, le laissant complètement sous le choc. Elle ne lui en voulait pas finalement ? Leur discussion fut quant à elle un peu plus pesante. Elle prétendait ne rien se rappeler de ce qui avait put se passer, mais même sans lecture mentale, il sentait le mensonge à plein nez. Mais il ne la questionna pas, cette situation l'arrangeait. S'il y adhérait suffisamment fort, peut-être qu'il pourrait finir par croire qu'il s'agissait d'une hallucination grotesque d'un adolescent stimulé aux hormones. Les adieux se finirent par un paquet et ses dernières paroles de la dame arc-en-ciel avant bien longtemps...
« Tu te plaignais que ta couleur ne tenait jamais longtemps, alors j'ai une pierre Alice pour toi. Je l'avais faite avant de perdre mon don. Je ne le dirai pas deux fois, mais merci pour m'avoir offert cette opportunité de retourner chez moi... Finalement j'avais raison, tu n'es pas capable de résister au véritable spleen des autres. Peut-être devrais-tu devenir professeur finalement... Enfin tu as intérêt à m'écrire si tu ne veux pas subir un nouveau Rainbow kick ! »
Alors elle s'était retournée et elle disparut, laissant les larmes perler sur le visage de l'adolescent. Il avait pas envie de subir cette attaque une nouvelle fois, c'était la pensée de cette correction qui le faisait pleurer ! Ce n'était pas parce qu'il avait l'impression de perdre quelque chose de vraiment précieux en la laissant filer ...
Le paquet, il ouvrit deux jours plus tard, de peur de découvrir ce qu'il redoutait le plus au monde. Il y découvrit un cœur rose, et soudain la dernière soirée lui revint en tête. Les embrassades, ce qu'il avait dit, le regard fiévreux : aucun détail ne lui manquait. Il fut cependant soulagé qu'aucune descendance n'avait pu être engendré, mais autre chose le gênait. Ce « Je t'aime » qu'il avait prononcé... Pourquoi? Il regarda de nouveau la roche et son jugement changea du tout au tout. Ce n'était pas un cœur, mais un pique sans queue, et il n'était pas rose mais d'un orange très particulier. Quoiqu'il avait fait, ce n'était pour ne pas être oublié, pas à cause d'un sentiment idiot nommé Amour. Tu étais encore trop jeune pour t'ouvrir vraiment Elvio, donc tu préférais ces mensonges artificiels qui te protégeaient encore. Mais une brèche s'était ouverte ce jour là...
~*~
Il avait maintenant vingt et un ans, regardant une nouvelle fois cette pierre qui avait rétrécie depuis ses dernières utilisations. Finalement il n'avait jamais quitté l'Académie, prétextant à son chef qu'en restant travailler à l'intérieur il pouvait continuer de fournir des informations sur tout les types d'Alice arrivants. Cependant il ne recrutait plus personne, et ses contacts avec les Anti-Alices étaient de plus en plus rares.
Tu t'éloignais peu à peu de ce qui autrefois t'était cher . S'allumant une cigarette, le nouveau professeur riait légèrement se remémorant cette jeunesse trépidante et il reposa ce cristal sur la commode , avant de sortir de sa chambre. Mais Mike ne le saluerait plus, maintenant qu'il travaillait dans une des plus grandes firmes japonaises des nouvelles technologies. Lui avait réussit son concours in-extrémiste, faisant de lui l'enseignant de chant et de danse en plus d'être assistant de sa RTA. Une belle réussite qui lui avait valu quelques louanges personnelles, rien de très inhabituel en somme. En un an de travail, il avait eu cependant beaucoup d'ennuis. Entre la préparation des cours et les élèves déprimés par leur prison, il n'avait pas vraiment chômé. Il chantonnait doucement sur le chemin vers les muraille, sa gourmette où maintenant une aile y était gravée se balançant au rythme de ses pas. Il n'était pas encore exactement le prof qu'il espérait, encore trop mal reconnu et n'aillant pas encore réussi à totalement faire oublier l'isolement à ses protégés, mais il savait qui n'aura aucun mal à le devenir. N'était-il pas un dieu après tout ? Rien ne lui résistait !
Ouvrant le portail de l'Académie. Il repéra la jeune femme blonde qui faisait les cent pas depuis sûrement plus d'une heure. A vrai dire il l'avait fait poireauter comme à chaque fois qu'elle revenait à Tokyo. Il se prendrait certainement des coups et ils se chamailleraient quelques minutes, avant de partir au bar où Mike les attendrait. Alors ils parleraient du passé, de cette jeunesse qui avait changé sa vie. A vrai dire il n'aurait jamais cru qu'il serait resté aussi longtemps sur cette terre qu'il abhorrait encore, mais peu à peu de nouvelles prises l'accrochaient sur cette archipel abominable.
Peut-être parlerait-il de cette de demoiselle météo qu'il avait détruite pour reconstruire un monde plus réel que son royaume enchantée. Puis il avouerait probablement qu'elle l'énervait avec ce sourire trop pur et cette naïveté corrosive, sachant pertinemment qu'elle s'écroulerait avant d'arriver à quoi que soit …
Peut-être raconterait-il sa rencontre avec la princesse ornithorynque sur qui il avait parié . Il éviterait sans doute de préciser qu'il l'aimait bien, la décrivant comme une simple souffre douleur qu'il embêtait sans cesse, espérant qu'ils n'arriveraient pas à lire entre les lignes de son orgueil blessé par une fille qui avait réussi à se créer une place dans son cœur.
Mais surtout il devait leur dire ce qu'il avait mis tant de temps à avouer. Celui d'avoir peut-être ressenti un instant de l'affection plus profonde pour celle qui lui jetait un éclair noir de ses pupilles mauves. Il voulait juste voir sa tête se décomposer suivi d'un désespoir profond de voir qu'il lui avait fallut plus de six ans pour réaliser son message. Idiot ou suicidaire ? Probablement un peu des deux, mais de toute façon il gardait l'avantage si c'était lui qui parlait le premier. Mais peut-être qu'il resterait encore muet une nouvelle fois, il serait dommage de gâcher une si belle journée pour d'anciennes histoires. Et puis la suite promettait d'être passionnante, il lui restait encore beaucoup à vivre. Il s'avança doucement vers l'ancienne dame arc-en-ciel, la provoquant avec cette malice reptilienne qui n'avait pas changé en six révolutions solaires :
« Je ne te l'ai pas déjà dit Satoko ? Un super professeur doit se faire attendre ! Ne te fâche pas tout de suite, j'ai trop de choses à te raconter, pour perdre du temps avec un combat que je vais forcément gagner ... »
Mais l'histoire n'était qu'à son commencement.