EnfanceStatic ne se souvient pas très bien de son enfance. Elle est née dans une petite ville japonaise, pas très loin de Tokyo. Une jolie petite fille dans une famille aimante, voilà ce qu’elle aurait dû être. Malheureusement, quelques mois après sa naissance, ses parents virent avec effarement un éclair s’échapper de sa petite main potelée. Depuis cet instant, elle ne leur inspira plus que la peur et le désespoir. Qu’avaient-ils fait pour mériter cela ? Avoir un monstre pour fille, quelle tragédie ! Mais elle n’en a jamais rien sût, elle était si petite… Elle pensait que les réactions de ses parents envers elle étaient normales, même si son petit cœur se serrait lorsqu’ils lui montraient leur dégoût.
Elle alla à l’école, comme les autres enfants. Toute son enfance, elle était montrée du doigt, la sorcière, le monstre, la fille de la foudre. Elle ne comprenait pas, la seule chose d’étrange chez elle c’était qu’elle avait mal quand elle pleurait, ça crépitait sur ses joues. Alors elle ne pleurait pas. Jamais. Même quand elle surprenait le professeur dire aux élèves de ne pas trop s’approcher d’elle, même quand elle voyait les regards durs comme la glace de ses parents posés sur elle, même quand ses camarades la faisaient tomber sur les graviers de la cours de l’école, même quand elle rentrait et que la porte de sa maison était fermée à double tour.
Elle prit l’habitude de rester sur l’aire de jeux de la ville. Elle y passait tout son temps, ne voulant pas rentrer chez elle. De toute façon, personne ne l’attendait là-bas. C’était comme une petite maison rien que pour elle, les enfants évitant ce lieu depuis qu’elle s’y était installée. Une maison où elle regardait le ciel, lui demandant silencieusement pourquoi elle était venue au monde.
Un jour, elle eût l’impression que sa vie prenait un sens. Le jour où une petite fille blonde comme les blés vint lui parler, lui demander si elles pouvaient être amies. Ce jour-là, elle crût que son cœur allait exploser de bonheur. Elle s’appelait Ogawa, elle avait de grands yeux bleus et des airs d’ange descendu sur Terre. Elle riait toujours, semblant ne pas connaître la tristesse. C’était un modèle pour elle, sa seule et unique amie. Les persécutions avaient beau redoubler, elle s’en moquait, pourvu qu’Ogawa soit là. C’est elle qui lui donna son surnom, Static. Elle trouvait que ça ressemblait au début de son prénom et au début de son nom associés, ça la faisait rire. Alors Static riait aussi.
Puis vint le jour où la vérité éclata au grand jour. Elle avait oublié quelque chose dans son casier et était revenue sur ses pas pour le chercher. Ogawa était là, son angelot blond, ainsi qu’une fille de leur classe qui avait l’air contrarié. Et elle entendit ce qu’elle n’aurait jamais dû entendre.
« Sunako est si stupide, elle croit vraiment être mon amie. Mais je ne l’aime pas, comment pourrais-je aimer un monstre ? C’est toi ma meilleure amie, pas elle ! »
Les persécutions, les paires de ciseaux qui volaient dans sa direction, les papiers dans sa trousse qui la traitaient de tous les noms, c’était elle qui orchestrait tout ça. Elle avait l’impression qu’on lui enfonçait un pieu dans le cœur. Elle avait poussé la porte, se dévoilant aux yeux de celle qu’elle considérait comme son amie, de grosses larmes amères perlant sur ses joues, créant des étincelles et lui mordant la peau.
« Ogawa… Je te déteste !! »
Elle avait alors pointé du doigt vers la petite fille horrifiée, et un éclair l’avait foudroyée en pleine poitrine. Elle s’était effondrée sur le sol, un rictus apeuré accroché au visage.
« Je vous déteste tous ! »
Plus rien ne pouvait l’arrêter, elle courait dans les couloirs comme une furie, pleurant et envoyant des éclairs à tout va. Elle haïssait cette école, les élèves, les professeurs, les graviers de la cour, le tableau noir, tout ! Puis tout s’accéléra, elle vit des hommes vêtus de noir s’approcher d’elle dans la cour de récré, bizarrement les éclairs ne les atteignaient pas, comme s’ils étaient déviés. Ils s’approchèrent suffisamment d’elle pour la maitriser, l’empêchant de bouger alors qu’elle hurlait, tentant de s’échapper. Elle voulait retourner à l’aire de jeux, se rouler en boule contre les structures de bois et de plastique, fermer les yeux et tout oublier. Ils déposèrent un masque sur son visage, un masque qui lui donnait affreusement mal à la tête, elle se mit à pleurer encore plus fort mais ça ne faisait qu’accentuer la douleur. Une douleur insupportable… Bientôt, tout devint noir.
AliceLorsqu’elle se réveilla, elle se trouvait dans un endroit qu’elle ne connaissait pas. Une académie, on lui dit. Pour les personnes avec un don, comme elle. Sur le coup, elle a pensé très fort que ce n’était pas un don mais une malédiction. Mais elle n’a rien dit. Elle ne desserrait pas les dents. Elle détestait ce professeur, malgré toutes ses gentilles paroles et son air affligé. Il lui dit qu’ils avaient parlé à ses parents, et qu’ils avaient accepté qu’elle vienne ici. Au fond, elle savait qu’ils étaient heureux de se débarrasser d’elle. Ils ne voulaient plus la revoir. Jamais. Elle avait mal aux oreilles, elle remarqua qu’on lui avait mis des boucles bizarres qu’elle ne pouvait pas enlever parce qu’elles étaient fondues dedans. Une perle aux couleurs rougeoyantes et une sorte de bague qui entourait le cartilage de son oreille, ornée du symbole de l’eau en caractère chinois. Elle avait l’impression qu’on la forçait à faire quelque chose, et ça la rendait folle de rage. Elle n’avait que huit ans, mais déjà dans son cœur la haine grandissait.
Elle fit sa rentrée à l’académie quelques jours après, le temps de se remettre de sa crise. Même si, au fond, elle ne serait jamais guérie. Les élèves et les professeurs tentaient d’être gentils avec elle, mais elle refusait toute tentative d’approche de leur part. Elle se montrait insolente, lançait des éclairs à tout va, mordait, griffait, donnait des coups de pieds et de poings à quiconque s’approchait d’elle. Ils ne méritaient pas sa confiance. Elle ne l’accorderait plus jamais à personne. Elle détestait tout le monde.
Vie et mortElle continua comme ça pendant longtemps. Elle devait avoir dix ans lorsqu’elle commença à se teindre les cheveux en rouge et à mettre des lentilles. Son style vestimentaire s’orienta rapidement vers le punk, jupes déchirées et mitaines en résilles. Elle ne voulait plus rien à voir avec l’ancienne Sunako, celle qui ne disait rien quand on lui reversait la poubelle sur la tête. Elle se mit à la guitare électrique sur un coup de tête, se défoulant en chantant à pleine voix et en écoutant de la musique à fond dans sa chambre. C’était la seule chose qui, selon elle, valait le coup. La musique, les gens qui gueulaient dans leur micro, ça canalisait un peu sa haine.
Et puis, à onze ans, on la fit venir à l’hôpital. On lui expliqua que son alice était de type limité, qu’il réduisait son temps de vie à chaque utilisation. Seulement, Static ne contrôlait pas son alice. Ou plutôt si, elle le contrôlait, elle pouvait en faire pratiquement tout ce qu’elle voulait. Mais jamais elle ne pouvait l’arrêter totalement. L’heure de la douche devenait une vraie torture pour elle, lorsque les gouttes d’eau entraient en contact avec sa peau électrifiée et provoquaient des court-circuits dans son corps. Elle allait mourir. Mais pour elle, c’était bien trop abstrait. La mort, c’était loin encore, pour quand on est vieux. Et puis peut-être qu’ils se trompaient, avec leurs calculs débiles.
C’est à treize ans qu’elle comprit qu’ils ne se trompaient pas. Petit à petit, elle commença à faire des crises de plus en plus violentes. Elle ne pouvait plus utiliser son alice comme elle le voulait sans avoir de représailles. Elle avait de plus en plus mal, et elle voyait la mort se rapprocher d’elle comme une ombre au bout du plongeoir. Elle refusait de l’admettre, mais elle avait peur. La haine s’était un peu atténuée dans son cœur, mais la peur prenait toute la place restante.
ChangementsC’est arrivé quand elle avait seize ans. C’était une soirée comme les autres, au début du printemps peut-être… Quoi qu’il en soit, c’est cette nuit-là qu’elle la rencontra. Elle avait décidé de taguer le mur externe du lycée, se servant d’une bombe de peinture rouge. Elle était concentrée sur son œuvre lorsqu’elle avait entendu quelqu’un approcher. Une jeune fille aux cheveux bleus qui se trouvait être dans sa classe. Lou Hopkins. Au départ elle ne pouvait pas la supporter, elle et ses airs de Laura Ingalls, toujours prête à se sacrifier pour son prochain. Pourquoi insistait-elle autant pour rester auprès d’elle ? Elle qui n’aspirait qu’à s’évanouir tranquillement… Vraiment ?
Petit à petit, Lou est parvenue à la faire sortir de sa coquille. Elle s’est rendue compte qu’elle avait soif de vivre, qu’elle voulait connaître des choses, qu’elle ne voulait pas mourir maintenant… Elle ne sait pas si c’est une malédiction ou une bénédiction, si elle aurait préféré vivre jusqu’à la fin en se mentant à elle-même ou non. Elle commençait à s’intéresser à la vie, rencontrant des personnes comme Waku, le petit frère de Lou, Eliot (bon dieu ce qu’il pouvait l’agacer celui-là), les enfants de l’hôpital… Et puis tout s’est arrêté.
Pendant quelques temps, elle évita Lou dans les couloirs, prétextant toujours qu’elle avait quelque chose d’extrêmement important à faire. Pourquoi avait-elle aussi peur ? Elle avait pourtant juré de la protéger, même si elle sentait bien qu’elle n’en était pas capable (Lou était vraiment un aimant à ennuis). Mais elle sentait bien que son amie ne voulait pas qu’elle parte… Et malgré tous ses efforts, rien ne pourrait la retenir. Elle allait mourir. Et le fait que Lou en souffre la déchirait. Elle préférait qu’elle la déteste ou qu’elle l’oublie maintenant, plutôt que de la voir pleurer plus tard. Et puis, elle devait bien l’avouer, ses messages d’espoir lui faisaient plus de mal qu’autre chose…
Son état s’aggravait toujours, de plus en plus rapidement. Et elle ne savait plus trop où elle en était. C’est justement pendant l’une de ses périodes d’égarement qu’elle rencontra Elvio. Elle l’avait déjà vu, certes, mais elle n’avait jamais fait attention à lui et ne se souvenait même pas de sa tête. C’était pourtant son professeur de RTA… La première chose qui la frappa chez lui, c’était sa rudesse. Il ne faisait rien pour être gentil. Au contraire, il semblait se moquer éperdument de son état de santé, et de si lui donner des coups lui ferait mal. Elle avait presque l’impression d’être normale. C’est peut-être ça qui a fait qu’ils se sont rapprochés. Ce défi. Aucun des deux ne laisserait l’autre gagner, et ils ne se feraient pas de cadeaux.
Static a beaucoup changé depuis son arrivée à l’académie. Elle venait juste d’apprendre ce qu’était la haine. Elle a ensuite appris ce qu’était la mort. Puis l’amitié. Static, on dirait que sa vie n’est pas dans le bon sens. Qu’elle l’a remontée en sens interdit, comme un poisson remonte la rivière. A contre-courant. Que lui reste-t-il à découvrir à présent ?